Bonne rentrée, chères et chers collègues !

C’est une tradition bienheureuse pour les divers acteurs du monde de l’éducation que de partager, à la faveur de la rentrée des classes, les préoccupations et les espoirs que leur inspire l’avènement d’une nouvelle année scolaire et académique. La Fédération internationale des professeurs de français se plaît de se joindre à ces instances afin d’exprimer elle aussi par ma voix, à toutes et à tous nos collègues et compagnons de route du monde, notre volonté d’action, nos attentes et nos espérances face aux défis de cette rentrée tellement particulière, au cœur d’une pandémie dont l’évolution reste encore, à plein d’égards, imprévisible donc profondément inquiétante.

S’il s’agit de jeter un regard rétrospectif sur l’année scolaire écoulée, comme il se doit dans de telles circonstances, on peut déclarer, sans fausse modestie, notre satisfaction. 2019 a été une année à part : l’anniversaire des 50 ans de la FIPF a été fêté dans tous les coins du monde pour marquer son importance et sa notoriété à l’occasion d’évènements d’une remarquable richesse. La « cerise sur le gâteau » fut l’initiation de la première édition du Jour du Prof, large manifestation internationale qui se reproduira tous les ans, le dernier jeudi du mois de novembre, en hommage aux milliers d’anonymes, enseignants de français qui, depuis le pupitre de leurs salles de classes, découvrent avec talent et attachement professionnel, devant les millions d’enfants émerveillés, les saveurs de la langue française et de la francophonie.  

Mais ce ne fut pas tout. A partir du mois de février, ces magnifiques enseignants de français, sûrs de leur savoir-faire et maîtres de tant de sentiers battus, ont dû subir le choc de la Covid 19 qui nous a surpris et bouleversés, en nous obligeant nous, les humains habitués à nous entourer d’un maximum de certitudes, à remettre en question nos comportements au quotidien de notre travail et de notre existence même. Une crise que l’on peut dire intellectuelle, puisqu’elle a chahuté notre enseignement et ce qu’on considérait comme des acquis professionnels indubitables. La pandémie nous a ainsi contraints à être audacieux et créatifs, forts de pouvoir convertir l’état exceptionnel de crise en opportunité.

Au moment de cette rentrée hors du commun, je suis, tout comme vous, inquiète. Que va-t-il se passer ? Comment harmoniser l’enseignement à distance avec le présentiel ou avec les formules hybrides ? Se rencontrer sur les plateformes virtuelles peut contribuer à tisser les solidarités sur lesquelles le bien-être du monde devrait se construire, au même titre que la complicité du face-à-face de la salle de classe ? Quelles relations entre parents et enseignants ? Et quelles responsabilités à chacun ? Un management de la classe fondamentalement reconfiguré, au soutien du développement d’une autonomie authentique de l’apprentissage, d’accord, mais comment le concevoir ? Comment pallier les inégalités d’accès à l’enseignement à distance ? … Les technologies sont déterminantes, il est vrai, mais elles peuvent conduire vers des modèles très différents de société, comme le signalait dans une interview diffusée sur la TV Arte Yuval Noah Harari, le fameux auteur du best-seller planétaire qu’est devenu son Sapiens, une brève histoire de l’humanité. Au-delà des technologies, ce sont les valeurs pérennes de l’humanité qu’il faut avant tout cultiver.

Un de mes auteurs préférés, que j’avoue avoir fréquenté avec une certaine assiduité pendant ces temps préoccupants, est Boris Cyrulnik, celui qui a vulgarisé à travers de nombreux ouvrages le concept de « résilience ». Considéré comme le processus qui permet de renaître de sa souffrance, la résilience s’enrichit, pour les militaires, d’un sens nouveau, que nous révèle Cyrulnik : pour eux, les militaires, qui sont des professionnels et savent mesurer avec réalisme ce que c’est le risque, la résilience ne représente pas seulement « la reprise d’un nouveau développement après un traumatisme », elle veut dire aussi anticiper, aller au-devant du traumatisme potentiel lié à son métier. Je pense qu’en cette période de crise qui a réveillé en nous des peurs ancestrales, cette nuance est appropriée à tout autre métier, y compris le nôtre. J’aime croire que, pour construire l’après, nous sommes intellectuellement préparés à faire face à l’inattendu et à nous réinventer, à partir des expériences récemment vécues et en fonction des contextes d’apprentissage qui sont les nôtres. Dans le conflit qui se dessine déjà entre les partisans de la continuité et ceux qui sont en faveur du changement, il y aura des débats passionnants et certainement passionnés, mais nous en sortirons gagnants et ce sera grâce à votre créativité et à votre réalisme.

La nécessité de choisir des solutions de renouvellement concerne aussi la vie associative. Malgré son prestige et sa notoriété, la FIPF se heurte elle aussi, tout comme beaucoup d’autres organismes similaires, à des difficultés dangereusement aggravées par la crise mondiale. La responsabilité qui repose sur nos épaules est énorme. Soyons à la hauteur de tous ces grands défis ! Il faudra essayer de mettre en chantier de nouveaux projets, pour que le monde dans lequel on aimerait vivre une fois l’orage passé devienne la réalité sur laquelle l’avenir des générations futures pourra se faire construire. Dans cette belle entreprise, nous comptons sur vous. Nous comptons sur vous en vous souhaitant, chère et cher collègue, une très bonne rentrée !

Je ne pourrais pas terminer ce billet sans avoir exprimé la grande tristesse avec laquelle nous avons appris la terrible épreuve de nos amis libanais, ce peuple qu’on aime et qu’on apprécie pour tout ce qu’il représente professionnellement, culturellement et affectivement. Au nom de notre solidarité associative, la FIPF se joint de tout cœur à leur chagrin.

 

Bien cordialement, au nom du Bureau exécutif de la FIPF et de son Secrétariat général,

 

Doina Spiță

Vice-présidente de la FIPF