Être en première ligne : transformer la pandémie en opportunité d’innovation

Cher.e.s collègue.s,

Comme la langue française est le reflet de la société, elle évolue au rythme de l’actualité. Au moment où de nouveaux mots naissent, d’autres retrouvent une seconde jeunesse. Si les mots « confiné » et « confinement » existaient dans le dictionnaire, « déconfiner et reconfiner » sont une nouveauté. « Vaccinodrome[1] », « cluster[2] », « protocole sanitaire », « distanciation sociale », « quatorzaine[3] », « septaine », « gestes barrières », « télétravail », « hydroalcoolisme[4] », « école à distance », « inégalités », « continuité pédagogique », « apprentissage/enseignement comodal[5] », « distanciel », etc. des mots qui sont entrés, en ces temps inédits, dans notre vocabulaire quotidien et dans nos classes.

La pandémie a montré l’excellente santé de la langue française. Pour Bernard Cerquiglini « On a créé “reconfinement”, “déconfinement”, “redéconfinement”... des mots bien formés, bien attestés, utiles, les meilleurs candidats au dictionnaire », une vraie créativité lexicale de la part des francophones, qui ont proposé beaucoup de mots nouveaux, souvent rigolos pour décrire toutes les situations étonnantes qu’on vit avec cette pandémie (France 2 TV).

Comme la langue apporte, dans nos vies et dans nos classes, des mots pour nos maux, le métier d’enseignant.e s’avère être plus que jamais le miroitement de la flexibilité et de la faculté d’adaptation. Depuis des années, de nombreux profs le disent déjà : nous sommes « en première ligne » et parfois démuni.e.s, dans nos salles de classe pour assurer l’essence même de notre mission. Suivre nos apprenant.e.s en classe, dans leur environnement physique, semblait naturel… jusqu’il y a presque un an où l’injonction numérique est arrivée pour bouleverser les rapports humains avec nos apprenant.e.s, pour inviter dans nos échanges des artefacts de communication, des écrans, des caméras, des microphones, etc.

En ces temps d’incertitudes et de changements, il me fait chaud au cœur de voir combien, vous, enseignant.e.s notamment de/en français, êtes passionné.e.s, engagé.e.s et fier.e.s de votre métier. Entre tradition et innovation, vous avez saisi la crise pandémique avec ses solitudes et ses contraintes, avec ses difficultés et ses impasses pour les transformer en des opportunités vous rapprochant davantage de vos apprenant.e.s, favorisant autant que possible une relation « quasi individualisée » avec chacun.e d’entre eux/elles. Entre technophiles et technophobes, vous avez choisi d’être des techno-enthousiastes, non pas nécessairement par enthousiasme pour la technologie, mais pour assurer une continuité pédagogique « quasi normale ».Vous, enseignant.e.s de français, avez transformé la crise en opportunité d’innovation, vous avez poursuivi vos activités d’enseignement et de formation — en utilisant internet, les téléphones portables, la radio, la télévision, dans certains cas la poste, ou les kits pédagogiques pour la maison.

Comment ne pas dire que vous étiez, vous l’êtes toujours et vous le serez avant le retour à la norme, vous aussi, en première ligne pour guérir les blessures de vos apprenant.e.s, les réconforter quand il le faut et leur donner le goût d’apprendre le français et en français ?

Entre tradition et innovation, vous avez redoublé d’efforts et de créativité pédagogique, vous vous êtes efforcé.e.s de trouver des solutions et de créer de nouveaux environnements d’apprentissage pour vos apprenant.e.s, et ce même lorsque l’accès aux technologies faisait défaut.

De la pandémie à l’expérience, vous avez accéléré un processus qui était déjà en marche. Entre tradition et innovation, au cœur des associations, vous avez poursuivi et adapté vos activités pour œuvrer à vos missions. Ce contexte de crise mondiale a placé les associations de professeur.e.s de français plus que jamais face à leurs forces et leurs limites, a interrogé leurs capacités de régénération individuelles et collectives et a ouvert de chantiers synergiques qui permettront de développer leurs forces vives.

Au courant du mois de janvier, j’ai été invitée par plusieurs associations à assister à leurs activités animées en ligne. Malgré la distance géographique, elles nous ont réuni.e.s de tous les coins de la Francophonie, nous ont « déconfiné.e.s » dans une ambiance conviviale, nous ont invité.e.s quelquefois à nous pencher sur ce même thème d’actualité qui a bouleversé les pratiques de la planète entière y compris nos pratiques d’enseignant.e.s de/en français. À titre indicatif et non exclusif, l’Association des Enseignants de Français de Russie (AEFR) a choisi pour son E-séminaire le thème « La COVID-19 et l’enseignement du FLE : nouvelles pratiques, perspectives et projets pour l’avenir », l’association portugaise des professeurs de français (APPF) a réorienté son colloque sur la thématique du numérique en évaluation « Évaluer les apprentissages au XXIè siècle — stratégies, outils et démarches », et l’Association Marocaine des Enseignants de Français (AMEF) a favorisé le thème de « L’enseignement, ce métier sous haute tension », etc., tant de questions en lien direct avec l’actualité posées par les associations tant en termes de menaces que d’opportunités pour rapprocher les mondes.

Hommage aux associations de professeurs de français et à chacune et chacun d’entre vous

Le chanteur, auteur-compositeur Grégoire Boissenot dédie en 2020 une chanson aux enseignant.e.s en première ligne, je vous l’offre et notamment ce paragraphe qui me touche profondément « Vous avez cru en nous quand personne n’y croyait, vous pensiez malgré tout qu’il fallait tout donner, et parfois vous avez remplacé nos parents, vous nous avez aimés comme on aime son enfant, on a été ingrats, on a été odieux, on était arrogants, idiots et capricieux, mais jamais, non, jamais vous nous laissiez tomber, vous nous abandonniez, car c’est inscrit en vous, gravé dans vos entrailles, envers et contre tous, toujours vaille que vaille, car aider un enfant, c’est aider l’univers, c’est créer des parents, de meilleurs pères et mères ».

Dans Chagrin d’école, Daniel Pennac rend hommage à sa façon à ses professeur.e.s : « Les professeurs qui m’ont sauvé — et qui ont fait de moi un professeur — n’étaient pas formés pour ça. […] Ils se sont dit qu’il y avait urgence. Ils ont plongé. Ils ont raté. Ils ont plongé de nouveau, jour après jour, encore et encore…ils ont fini par me sortir de là. Et beaucoup d’autres avec moi. Ils nous ont littéralement repêchés. Nous leur devons la vie ».

À vous qui n’étiez pas formé.e.s pour affronter cette pandémie, à vous qui y aviez plongé, à vous qui aviez repêché des apprenant.e.s, au nom du Bureau de la FIPF (Jean-Marc DEFAYS, Doina SPITA, Marc BOISSON et moi-même), nous rendons hommage à chacune et à chacun d’entre vous, enseignant.e.s de/en français, solidaires avec 80 000 professeur(e)s adhérent.e.s à la FIPF, dans 130 pays, appartenant à 200 associations, réparti.e.s sur 8 commissions pour être au service de plus de 120 millions d’apprenant.e.s du/en français dans le monde. Non, vous n’êtes pas isolé.e.s, vous êtes une vraie armada francophone qui avance dans un seul but, celui de promouvoir la langue française dans sa diversité et ses spécificités et qui fait entendre sa voix auprès des gouvernements pour améliorer la situation de l’enseignement du français dans nos pays et valoriser le métier du professeur. La FIFP est à vos côtés. Deux mots tout simples : merci et bravo.

Cynthia EID

Vice-présidente de la FIPF



[1] Espaces, lieux de vaccination se situant généralement dans des salles de fêtes, stades couverts, grands gymnases, etc. ayant fait l’objet d’un réaménagement pour être utilisé pour l’injection du vaccin.

[2] Foyer épidémique, zone regroupant plusieurs cas, plusieurs personnes contaminées.

[3] L'isolement des personnes atteinte du coronavirus Covid-19 pendant 14 jours ou 7 jours (une septaine).

[4] Exagérer l’utilisation du gel hydroalcoolique.

[5] Pour l’enseignant.e, il s’agit d’une gestion simultanée d’une classe physique en présentiel et d’une classe virtuelle synchrone.