Dans une chronique publiée le 22 octobre 2024 dans le journal québécois l'Actualité, Jean-Benoît Nadeau parle de la FIPF et publie un entretien avec la Présidente de la FIPF, Cynthia EID.
L'avenir du français dans le monde va se jouer dans les écoles et c'est pourquoi nous avons besoin d'organisme comme la Fédération Internationale des Professeurs de Français (FIPF), qui fédère 300 associations d'enseignants dans 140 pays, et compte plus de 80 000 membres écrit le journaliste Jean-Benoît Nadeau.
Fédérer les profs de français, partout sur la planète
Présente dans 140 pays, la Fédération internationale des professeurs de français mise sur l’éducation pour assurer l’avenir de la francophonie. Entretien avec sa présidente, Cynthia Eid.
Le Sommet de la Francophonie, qui se tient tous les deux ans dans un pays francophone de la planète, a tendance à faire de l’ombre à plusieurs organismes francophones méritoires, mais méconnus. C’est le cas de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), qui réunit 299 associations regroupant quelque 80 000 enseignants de 140 pays. Il s’agit d’enseignants du français langue maternelle ou langue seconde, de tous les niveaux d’enseignement.
Quand on considère que le Québec compte 100 000 enseignants au primaire et au secondaire, 80 000 enseignants dans le monde, ça ne paraît pas si terrible — sauf qu’il s’agit ici de membres volontaires, ce qui ne regroupe pas la force enseignante totale.
La FIPF est d’autant plus importante que l’avenir de la francophonie mondiale se jouera par l’éducation. Car sur les 343 millions de locuteurs du français, les trois quarts l’ont appris sur les bancs d’école plutôt qu’à la maison. Cela donne la pleine mesure du rôle primordial d’un tel organisme.
Cynthia Eid, présidente de la Fédération depuis 2021, est une Libanaise d’origine qui a enseigné sept ans entre Montréal et Ottawa avant de devoir retourner en France. Elle a fait sienne cette très belle image du romancier et dramaturge martiniquais Édouard Glissant pour qui la langue française est une « langue monde ».
« Notre siège social est en France, mais la FIPF n’est pas une association française, dit-elle. Mon combat, c’est la représentation des francophonies dans le monde. Je suis pour une francophonie plurielle. C’est notre richesse. La fierté des enseignants locaux est notre meilleur atout. Qui mieux qu’eux peut le faire pour illustrer cette richesse. »
Comprendre la FIPF
« Les enseignants sont souvent isolés, dans des conditions parfois précaires, et ils ont besoin d’associations pour les structurer, parler aux médias, démarcher, organiser des événements, les informer », explique Cynthia Eid, seconde femme à présider l’organisme fondé en 1969. « Outre le travail d’information sur le métier d’enseignant et la transmission de connaissances, une grande tâche de la FIPF est d’aider nos associations membres à s’organiser. »
Résumer ce qu’est un organisme comme la FIPF est assez complexe. Les 299 associations membres sont réparties selon sept grandes zones géographiques appelées « commissions » (Amérique du Nord, Amérique latine et Caraïbe, Europe de l’Ouest, Europe centrale et orientale, Asie-Pacifique, Afrique-Océan Indien et Monde arabe). Une huitième commission, « Français langue première », regroupe les territoires majoritairement de langue maternelle française. Le Québec figure donc dans deux commissions : dans cette dernière par l’intermédiaire de l’Association québécoise des professeur·e·s de français (AQPF) et dans la commission Amérique du Nord par l’Association québécoise pour l’enseignement du français langue seconde (AQEFLS).
Si le soleil ne se couche jamais sur la FIPF, puisque ses associations membres sont dispersées partout sur le globe, elle doit néanmoins composer avec une répartition un peu inégale. Par exemple, la fédération brésilienne regroupe 25 associations d’enseignants, ce qui est considérable. En revanche, l’Amérique du Nord est sous-représentée en raison de l’absence notable des Américains et des Mexicains.
Heureusement, la FIPF est en train de renouer des liens avec l’influente Association américaine des professeurs de français (AATF pour le sigle anglais), un organisme centenaire qui compte près de 10 000 membres. Avec le Mexique, où les enseignants de français sont quand même nombreux, tout est à recommencer, car les associations existantes se sont dissoutes. « On essaie de rebâtir ça, mais c’est compliqué », explique Cynthia Eid.
Outre ses nombreux congrès régionaux et mondiaux, la FIPF possède trois publications : l’excellente revue Le français dans le monde, Francophonies du monde et Recherches et applications. L’ONG conduit des activités organisées localement ou régionalement, ainsi qu’une douzaine de grandes activités, dont la Journée internationale des profs de français, qui en est à sa sixième édition et que chaque association est libre d’organiser à sa guise. Depuis quelques années, l’événement est officiellement parrainé par une personnalité, telle que les auteurs Eric-Emmanuel Schmitt et Dany Laferrière. « Mais on aimerait avoir des personnalités sportives ou scientifiques », dit Cynthia Eid.
La Fédération a aussi mis sur pied un grand concours d’éloquence (dont la finale a eu lieu au Sommet de la Francophonie) et offre des ressources pédagogiques comme Olymp’Kit (pour améliorer les compétences linguistiques et culturelles des apprenants sur la thématique du sport).
La FIPF va réaliser un sondage mondial en partenariat avec l’Université d’Ottawa pour savoir qui sont ses membres, connaître leurs défis et déterminer ce qu’ils pensent de leur association.
Sur la foi des informations qu’elle détient déjà, la FIPF a lancé un projet de mentorat pour les jeunes enseignants. « La profession vieillit. Or, 30-35 % des nouveaux venus décrochent avant leur sixième année d’enseignement », dit Cynthia Eid. La FIPF recrute donc des vétérans et des retraités pour aider les plus jeunes à franchir ce cap.
Assurer l’avenir
Cynthia Eid se bat cependant avec une main dans le dos, car ses moyens ne sont pas ceux de ses prédécesseurs. La réorganisation de la diplomatie française dans la décennie 2010 a privé l’organisme d’une large part de son soutien : il fonctionne désormais avec un salarié et demi, au lieu de dix jadis.
« Mon prédécesseur redoutait de devoir mettre la clé sous le paillasson. J’ai pris le défi parce qu’on ne pouvait laisser aller la FIPF », explique Cynthia Eid, qui a réussi à augmenter le nombre d’associations membres, qui est passé de moins de 200 à 299 en trois ans. « Chaque jour, je vois sur le terrain ce que réalisent nos associations. La force du réseau n’est pas à sous-estimer. Nos enseignants en redemandent. »
L’une des tâches les plus complexes des présidents de la FIPF consiste à trouver l’équilibre entre une vision franco-française du français (centrée sur la France) et une autre beaucoup plus francophone, c’est-à-dire d’une langue et d’une culture décentralisées.
L’organisme, qui a connu 13 présidents depuis 1969, a également eu deux Québécois à sa tête, Émile Bessette (1981-1985) et Jean-Claude Gagnon (1988-1992). Mais l’absence du gouvernement du Québec complique les efforts de l’actuelle présidente pour une décentralisation. Ce problème n’est pas propre à la FIPF : depuis une dizaine d’années, le gouvernement du Québec joue mal son rôle traditionnel de contrepoids de la France dans les organismes francophones (y compris l’OIF).
Le Québec a certes 32 délégations et bureaux à l’étranger, mais le gouvernement Legault a résolument orienté leur action vers l’activité économique. Depuis 2008, il existe bien une agence, le Centre de la francophonie des Amériques, qui fait un travail apprécié des enseignants, mais son activité se limite au continent. « Le Québec ne figure plus parmi nos partenaires officiels depuis trop d’années, et je me bats pour changer ça. Le Québec est loin des enseignants et ça nuit à ses efforts de rayonnement. Négliger les enseignants, c’est comme avoir un trou dans la raquette. »
Le lien vers l’article : https://lactualite.com/societe/federer-les-profs-de-francais-partout-sur-la-planete/