Résolutions

Télécharger le PDF des Résolutions du Congrès de Liège

Nous, professeurs de français du monde entier, réunis à l’occasion du XIVe Congrès mondial de la Fédération des professeurs de français qui s’est tenu à Liège (Belgique) du 14 au 21 juillet 2016, entendons bien que l’enseignement du français, partout dans le monde, soit un vecteur d’émancipation et de développement et non un instrument de contrôle social et de domination culturelle. 

 

Nous prenons donc acte que la langue est un objet politique ; et que son enseignement n’est dès lors pas indifférent à cette nature politique. Par conséquent, une des conditions de l’amélioration des résultats de l’apprentissage du français, comme langue de scolarisation, seconde ou étrangère, est la collaboration des décideurs des politiques scolaire et linguistique.

D’où notre appel à ces décideurs, sur des points relevant de notre compétence et qui sont détaillés ci-après. Par nos propositions, nous entendons contribuer à faire advenir ce modèle d’organisation sociale que promeut la francophonie : un monde plus juste, mis à l’abri de la barbarie, respectueux des identités et des diversités.

Cette synthèse a été rédigée sur la base des textes élaborés par les responsables des neuf symposiums du congrès, eux mêmes inspirés par les communications présentées au sein de leur symposium, et des souhaits exprimés dans le cadre des ateliers et des tables rondes. Ces textes ont été soumis à l’ensemble des participants au congrès, qui ont eu le loisir d’y réagir.

 

1. Former des enseignants

1.1 Y aura-t-il encore des professeurs de français demain ?

Une des premières préoccupations de toutes les instances soucieuses du développement devrait d’abord être de s’assurer qu’il y aura des enseignants dans le futur. En effet, selon toutes les projections, il y aura en 2020 — c’est demain — une pénurie de 180 000 enseignants (français langue étrangère et français langue maternelle confondus), la carence frappant principalement les pays d’Afrique. Et encore s’agit-il là d’estimations prudentes, qu’il faudra peut-être revoir à la hausse.

Nous demandons dès lors un investissement sérieux de tous les pouvoirs publics dans l’éducation. Cet investissement doit notamment servir une revalorisation de la profession d’enseignant, dont l’image sociale s’est fortement dégradée. Il faut également que soit résolument menée une entreprise de reconnaissance du rôle crucial des formateurs de maitres dans les institutions d’enseignement supérieur, où elle est souvent considérée comme marginale.

 

1.2 Des enseignants formés comment ?

Si ces enseignants existent, encore faut-il qu’ils connaissent la langue qu’ils ont à enseigner.

Il est essentiel à nos yeux de s’assurer que, dans tous les pays où le français est la langue de l’enseignement (ou de la scolarité),  tous ceux qui entament une formation pour devenir enseignants, quelle que soit leur discipline et le niveau auquel ils interviendront, possèdent une maitrise suffisante de la langue écrite (syntaxe, orthographe, lexique…) et orale (prononciation, articulation, gestion du non-verbal…), mais aussi de toutes les autres sémiotiques intervenant dans l’élaboration des messages hybrides de notre ère numérique. Il est aussi essentiel pour nous de faire en sorte qu’au-delà de leur maitrise des compétences langagières de base,  tous les enseignants de toutes les disciplines soient formés aux spécificités et aux exigences de la communication en français, tant orale qu’écrite.

Nous demandons que, dans l’ensemble des pays où le français est enseigné comme langue première, seconde ou étrangère, la FIPF, les associations professionnelles nationales et plus généralement les acteurs du monde associatif s’assurent auprès des responsables politiques compétents ainsi que des institutions responsables de la formation initiale et continue des enseignants qu’une place significative soit réservée à la formation de l’accompagnement des élèves présentant  diverses difficultés d’apprentissage du français. Ceci suppose une sensibilisation aux besoins spécifiques des apprenants en contexte de français langue seconde ainsi qu’une formation centrée sur la pratique de la lecture et de l’écriture au service de la réussite scolaire ; ceci suppose aussi qu’une place soit réservée, dans les programmes de formation initiale et continue des enseignants de français, à la didactique du plurilinguisme et à la pédagogie interculturelle, à laquelle nous allons revenir. Il s’agit donc, dans les pays où le français est une langue d’enseignement, de décloisonner le « FLE » et le « FLM ».

 

1.3. Des encadrants pour les publics fragilisés

Fidèles à la position que nous avons exprimée d’entrée de jeu, nous demandons que soient mieux prises en compte les spécificités des contextes d’enseignement et d’apprentissage et des besoins des apprenants les plus fragiles.

Pour cela, il importe que les acteurs nommés plus haut s’assurent auprès des ministres de l’éducation et des responsables politiques compétents, que des moyens financiers soient réservés à l’intégration langagière des jeunes élèves et des adultes migrants et que des structures d’accueil adéquates soient partout mises en place, en collaboration avec le tissu associatif.

Nous demandons aussi que les enseignants soient préparés adéquatement à recevoir et à accompagner au sein de leurs classes les élèves migrants qui ont été initialement scolarisés dans des structures spécifiques et, au delà d’eux, les autres publics fragilisés. Il importe donc que l’ensemble des pays où le français est enseigné comme langue première, seconde ou étrangère, que l’OIF, l’AUF et les autres organismes internationaux et nationaux qui soutiennent des programmes de recherche, encouragent les chercheurs en didactique, en collaboration avec les enseignants, à développer davantage  de travaux sur l’identification des difficultés d’apprentissage spécifiques à l’apprentissage d’une langue première, seconde ou étrangère ainsi qu’à concevoir des outils de diagnostic des difficultés. Ces mêmes acteurs devraient être encouragés à élaborer des moyens d’enseignement efficaces, adaptés aux conditions et aux pratiques d’enseignement ordinaires dans les différents contextes géographiques et sociolinguistiques, de façon à contribuer à la progression des élèves les plus fragiles et à la réduction des inégalités scolaires et sociales.

Parallèlement, il est important de soutenir financièrement les programmes visant à valoriser le développement de la littératie familiale pour les parents de milieux moins favorisés ainsi que les initiatives qui ont pour objectif de permettre aux enfants de ces milieux qui entrent à l’école de bénéficier d’un riche environnement littératié. Cela passe par exemple par l’accès au livre et par la participation à des séances de lecture offertes par des adultes (comme le propose par exemple l’association Lire et faire lire).

 

2. Moderniser l’équipement

2.1. Reconnaitre l’importance du numérique

Si le français doit être une langue moderne, ce ne sera pas seulement par les contenus qu’elle véhicule : elle doit aussi s’approprier tous les outils de la modernité technologique. En effet, ceux-ci sont d’une importance capitale dans le monde de l’enseignement, notamment parce qu’ils encouragent l’autonomie des apprenants. Une autonomie précieuse en soi comme facteur de développement, mais qui se révèle d’autant plus indispensable que le personnel d’encadrement fait défaut.

Nous demandons dès lors que les autorités nationales et les directions d’établissement scolaires mobilisent les ressources nécessaires pour assurer partout une infrastructure de base stable et fiable composée d’ordinateurs et de tablettes récents de même que d’une connexion Internet haut débit et d’une connexion sans fil performante. Disposer d’un équipement adéquat est en effet la condition nécessaire (mais non suffisante) pour garantir l’intégration effective du numérique dans l’enseignement des langues.

Nous invitons les autorités de même que le monde des médias (chaines de télé, presse écrite…), de l’édition et de la technologie éducative (développeurs d’applications, de plateformes, etc.) à encourager la production de ressources francophones susceptibles de soutenir l’enseignement du français (langue maternelle, seconde et étrangère).  Par ailleurs, garantir la présence du français sur Internet de même que dans les environnements d’apprentissage électronique est une cause à laquelle tous ceux qui sont attachés à la diversité culturelle dans le monde devraient se vouer. Nous comptons donc sur les instances de la francophonie pour continuer à  mener ce combat.

Nous leur demandons aussi d’œuvrer à la mise en place de nouveaux modèles de formation (communautés en ligne, formation hybride, classe inversée, apprentissage collaboratif, etc.) et de promouvoir l’utilisation de plateformes d’apprentissage et de Cours en Ligne Ouverts et Massifs (CLOM).

 

2.2. Former au numérique

En cette matière, la question de la formation est capitale elle aussi.  Nous demandons aux instances compétentes de faire évoluer les programmes pédagogiques nationaux de tous les diplômes de façon à ce que le numérique occupe une place plus centrale dans les instructions officielles consacrées à l’enseignement des langues. Il faut en effet renforcer sensiblement la littératie numérique des apprenants aussi bien que des formateurs. Leurs niveaux de compétences numériques restent en effet très hétérogènes, des écarts spectaculaires séparant les utilisateurs et les pays quant à l’utilisation pédagogique  des TIC. Réduire ces écarts — facteur de justice globale — permettra aussi aux enseignants d’intégrer le numérique plus systématiquement à leur enseignement et aux apprenants d’utiliser les outils numériques génériques et spécifiques pour devenir des usagers compétents, autonomes et disposant des stratégies nécessaires pour continuer à développer leurs compétences numériques. Nous contribuerons ainsi à la création d’une génération de citoyens numériques de demain.

En conséquence, nous demandons aux autorités compétentes de consacrer davantage de ressources à la formation des enseignants et des conseillers pédagogiques et à la création de postes de coordinateurs des TIC. Ces formations ne sauraient se limiter au niveau conceptuel : elles devraient intégrer aussi une composante technique de prise en main des technologies pertinentes de même qu’une composante consacrée à l’utilisation effective des TIC dans la pratique didactique.

La formation doit nécessairement s’adosser à la recherche. En conséquence, nous demandons aux universités et aux centres de recherche de s’investir davantage dans la recherche sur les technologies éducatives permettant d’évaluer le potentiel des technologies émergentes et d’estimer la plus-value effective de dispositifs de formation intégrant le numérique ; il leur reviendra aussi de contrôler régulièrement les progrès dans l’utilisation des technologies numériques et dans l’acquisition des compétences correspondantes.

 

3. Moderniser le corps de la langue

L’usager ne peut être exclu de sa langue, dont il doit avoir la maitrise. On sait en effet quelle est la conséquence d’une carence dans cette maitrise : c’est l’exclusion du corps social. Or cette grave question est le plus souvent abordée du côté de l’usager, à qui on reproche sa paresse ou son manque de motivation, et à qui on fait en définitive endosser la responsabilité de son exclusion.

Nous, professeurs de français, affirmons que l’on ne peut se contenter de cette approche, et qu’il faut aussi  travailler sur la langue elle-même, afin de la rendre plus appropriable. Nous estimons que la modernisation de l’écriture du français — correspondant à l’évolution normale de tout équipement linguistique — ne comporte que des avantages : non seulement elle fournit aux usagers une image plus exacte des véritables mécanismes langagiers, mais surtout elle permet aux enseignants de libérer un temps précieux pour conduire davantage leurs élèves à lire, à écrire, à écouter, à parler, à penser.

 

3.1. Solder les « rectifications »

Pour cela nous demandons tout d’abord que l’on tourne la page des « Rectifications de l’orthographe » de 1990.

Il est impératif à nos yeux que ces rectifications — dont la place a été clairement réaffirmée dans les programmes scolaires de plusieurs pays, dont la France, et qui sont aujourd’hui assumées par les dictionnaires courants, les correcteurs orthographiques et certains éditeurs scolaires — constituent désormais partout la première orthographe de référence (et qu’elle ne soit pas simplement tolérée ou encouragée du bout des lèvres).

Il importe de faire vérifier par les inspecteurs des différents pays que cette norme est bien enseignée de la première année du cycle élementaire à la fin du cycle secondaire, et qu’elle l’est dans tous les instituts chargés de former des enseignants, de toutes disciplines.

Il convient aussi, bien évidemment, de généraliser l’emploi de cette norme dans  tous les écrits émanant des autorités éducatives et culturelles des différents pays francophones et dans tous les outils et documents de référence relatifs à l’école.

 

3.2. Moderniser les normes graphiques

Mais au-delà de ces rectifications, un nouvel élan devrait être donné au processus de rationalisation et de modernisation de la norme graphique.

Nous demandons que se mette en place une commission internationale qui se donnerait pour objectif de proposer une nouvelle réforme cohérente et ambitieuse de l’orthographe française, portant prioritairement sur les règles les plus énergivores et les moins utiles, au premier rang desquelles celles qui concernent l’accord du participe passé (voir les propositions faites à ce propos par le Conseil de la langue et la politique linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou par le Conseil International de la Langue Française). Nous adjurons les instances internationales comme l’OIF ou  l’OPALE de mener une action déterminée et courageuse, bien nécessaire pour casser les discours catastrophistes qui se font trop entendre, et que les pouvoirs publics ont trop tendance à écouter, se condamnant ainsi à la frilosité.

Nous, responsables de l’enseignement du français en tant que langue première ou seconde, offrons notre collaboration pour mener ce travail.

 

3.3. Mais qui peut (et doit) moderniser ?

Pour qu’une telle commission internationale soit efficace et légitime, sans doute aussi faut-il repenser le fonctionnement des organismes de gestion linguistique de la francophonie. Nous constatons en effet qu’à l’heure actuelle, seuls les pays du Nord (fédérés dans l’OPALE) sont dotés d’organismes officiellement compétents. Nous demandons à l’OIF de prendre ses responsabilités et de susciter la mise sur pied d’instances permettant une coopération réellement internationale sur le point de l’aménagement du corpus langagier

La modernisation du corpus de la langue a évidemment d’autres facettes que celle de la norme graphique : pour assurer la place du français dans le monde comme langue du savoir, de la science et des techniques, un intense effort de production terminologique doit être consenti. Nous nous félicitons de constater que ce travail est entrepris par les instances de la francophonie internationale.

 

4. Rencontrer la variété des genres discursifs

La langue n’a pas d’autre existence que celle que lui donnent ses usages.

Parmi ceux-ci l’usage littéraire a constitué historiquement un objet privilégié de l’enseignement du français. Nous pensons qu’il convient de reconnaitre et d’assumer cette importance historique — la littérature française a toujours attiré les amoureux des grands textes par les contenus esthétiques et culturels qu’elle véhicule —, mais sans l’absolutiser, ni la réduire à un pur prétexte pour illustrer des faits linguistiques, et en étant conscients que le primat de l’enseignement d’un français littéraire risque de confiner celui-ci dans une sphère élitiste intimidante.

Nous estimons donc que l’enseignement du français doit intégrer une histoire de la langue littéraire qui permette de comprendre en quoi les usages esthétiques participent des mouvements profonds qui animent une communauté linguistique et que, simultanément, il convient de promouvoir les initiatives didactiques et pédagogiques développant le côté ludique de l’enseignement-apprentissage. Nous appelons les autorités compétentes à développer des programmes visant à ce délicat équilibre.

Nous demandons également que l’on repense la place de la grammaire dans les programmes. Celle-ci est enseignée trop tôt, et pour servir de soubassement à la dictée. Et cet enseignement est grevé par l'usage souvent chaotique des terminologies empruntées aux différentes théories en concurrence. L'enjeu de la grammaire n’est pas d’être l'application répétitive et mécanique de règles mal comprises, mais l'appropriation d'une capacité au raisonnement grammatical, auquel les enseignants doivent être formés.

Dans le même mouvement, nous pensons qu’il faut resituer le discours littéraire dans un continuum de pratiques communicationnelles plus ou moins contraintes par leurs finalités. L’enseignement du français doit donc rencontrer ces pratiques et ces finalités, en couvrant la large gamme des genres du discours ordinaire : le rapport, le commentaire, l’entretien, l’écrit technique, la dispute, le mode d’emploi, la convocation, la rédaction de pages Web, etc. doivent être envisagés dans et pour leurs spécificités rhétoriques et sémiotiques. Nous estimons donc qu’il faut réviser les contenus d’enseignement à la lumière des notions de variété des pratiques discursives et d’adaptation aux situations de communication. La chose est d’autant plus urgente que, grâce aux technologies numériques, on a vu croitre les occasions qu’ont les jeunes de pratiquer l’entresoi communicationnel et de se bercer ainsi de l’illusion de disposer de compétences discursives suffisantes.

Cet objectif de maitrise des variétés discursives ne vise pas seulement une bonne appropriation des outils permettant la promotion de l’usager dans sa vie quotidienne : il s’articule à des objectifs de politique linguistique générale. Nous demandons en effet dans la foulée aux différentes instances compétentes en la matière  — qu’elles œuvrent au niveau local, national ou international — de peser davantage sur tous les lieux où s’instituent, de manière plus ou moins explicite et contraignante, de tels genres discursifs (entreprises, monde juridique, secteur publicitaire, etc.) pour qu’ils cessent d’être des facteurs de domination, voire d’exclusion sociales.

En somme, et nous y reviendrons au titre 7, nous visons à renforcer la fonction réellement émancipatrice de l’enseignement de la langue, en faisant de celle-ci une ressource pleinement appropriable.

 

5. Ouvrir l’éventail des ressources

Confrontés que nous sommes aux difficultés pédagogiques que suscite l’éloge récurrent d’une mythique langue unifiée et essentialisée, dont les difficultés et les incohérences sont données pour des richesses, nous demandons aux décideurs en matière scolaire et en matière de politique linguistique de susciter, de promouvoir et de répandre un contrediscours en faveur d’une diversification des usages et, comme on l’a vu au titre 3,  d’une simplification du système.

L’enjeu est d’autant plus crucial que les épreuves internationales accréditent la conception d’une langue écrite standard, sans ancrages dans les usages des communautés discursives. Prendre conscience de ce fait devrait inciter les décideurs à proclamer que ce qui est à enseigner dans le cadre du cours de français ne saurait se réduire aux acquis d’apprentissage évaluables au moyen des outils informatiques employés pour corriger les épreuves en question.

La gamme de ressources du français que ce contrediscours doit mieux faire apparaitre aux consciences gagnerait elle-même à être davantage articulée à deux autres éventails de ressources.

Le premier est celui des sémiotiques voisines de la langue. L’enseignement du français devrait articuler davantage les ressources linguistiques à celles offertes par les autres pratiques — visuelles, kinésiques, auditives, tactiles — par lesquelles l’expérience humaine est codée et communiquée culturellement. Nous attendons sur ce point de la part des instances compétentes des innovations dans la recherche et dans la formation des encadrants.

Le second éventail est celui des langues partenaires du français.

Sur le marché des langues, le français doit prendre acte de la position qui est désormais la sienne, et lutter contre l’uniformisation culturelle en s’inscrivant dans de larges coalitions linguistiques. C’est là, nous le savons, une des lignes directrices de l’action de la francophonie internationale. Nous savons, comme les instances que sont l’AUF ou l’IOF, que la multiplication des langues assure la multiplication des voies d’accès au savoir et au savoir-faire, et faciliter la diffusion des sciences et des technologies ou des autres domaines de spécialité. Nous souscrivons pleinement à ces analyses. Mais nous disons en outre que l’enseignement doit refléter cette donne, en privilégiant notamment les perspectives plurilingues contrastives : avec les autres langues romanes, avec les langues des locuteurs immigrés, avec les langues du contexte d’apprentissage, avec les langues de voisinage.

À cet égard, des pratiques maintenant parfaitement au point, comme l’intercompréhension ou l’éveil aux langues, devraient cesser d’être des expériences isolées ou des objets de laboratoire pour s’intégrer régulièrement aux programmes obligatoires. Nous demandons donc aux décideurs d’étudier les modalités et les moyens d’une telle intégration.

 

6. Donner du sens à l’interculturalité

Dans la foulée, nous observons que les notions de plurilinguisme et d'interculturalité ont été pensées comme des antidotes à l’idéologie monoculturelle. Mais la portée subversive que pouvait avoir la notion de compétence plurilingue et pluriculturelle lorsqu’elle a été conceptualisée, s’est depuis bien estompée : elle est devenue un poncif dont on n’interroge ni les soubassements, ni les enjeux, ni les conséquences.

Nous demandons que les milieux chargés de la formation redonnent plein sens à la diversité, en traçant des pistes pour une éducation plurilingue et interculturelle qui ne se limite pas aux aspects de surface de cette diversité, qui ne la réduise pas à des composantes essentialisées, mais qui en prenne en compte ses enjeux en terme de valeur. Le plurilinguisme et l'interculturel ne consistent pas à additionner des langues et des cultures, à les collectionner, à les exhiber : ils sont une manière d’être aux autres en langues et en cultures. L’approche variationniste de l’enseignement du français ne peut se réduire à documenter les variétés géographiques du français : elle doit viser à sensibiliser aux valeurs sociales attribuées aux variantes linguistiques par la communauté.

Pour cela, nous demandons aux gouvernements des pays membres de la Francophonie  ainsi qu’aux responsables des grandes institutions internationales (OIF, UNESCO, UE, etc.) et aux organes de politique linguistique de cesser de voir la place du français  — et des dimensions culturelles qu'il véhicule — principalement du point de vue de sa diffusion et de son enseignement : nous demandons qu’elles promeuvent, à contrario, une orientation qui mette au premier plan la diversité des situations de réception et d'usages du français et des cultures qui le traversent.  Nous demandons qu’elles ne se limitent pas à une approche techniciste et utilitariste du plurilinguisme et de l’interculturel, mais qu’elles les envisagent comme des démarches citoyennes permettant l’apprentissage et l'expérience de la diversité et de l’altérité dans une visée politique du vivre ensemble, du niveau local à l’international.

À nos yeux, elles doivent aussi comprendre que la composition plurielle des sociétés et la mobilité internationale doivent s’inscrire dans une conception des rapports humains où la diversité linguistique et l’altérité culturelle sont à la fois un pari sur l'enrichissement mutuel et des valeurs qui nécessitent un apprentissage ; et que cet apprentissage, loin de se limiter au seul cours de français, doit s'adresser à l'ensemble des populations.

Enfin, parce c’est parfois avec de grandes difficultés que nous sommes venus à Liège depuis les quatre coins du monde,  nous voulons souligner la contradiction qu'il y a, dans un contexte de mondialisation, à prôner la diversité linguistique et la découverte interculturelle d'un côté, tout en menant de l’autre une politique très restrictive aux frontières.  Dans le même mouvement nous voulons souligner la contradiction qu’il y a à défendre l'égalité des langues et des cultures en oubliant que cette égalité n'existe pas sans justice sociale.

 

7. Apprendre la langue, apprendre la citoyenneté

Nous réaffirmons en terminant que l’école a un rôle primordial aussi bien de formation à et de passage vers la citoyenneté que de vecteur puissant d’humanisme, d’intégration et de cohésion sociales, la langue (quelle qu’elle soit) étant une condition sine qua non de l’accès à cette citoyenneté.

Or force nous est de constater que le remplacement des nobles principes d’égalité d’accès et d’égalité de chances par un principe d’égalité de résultats a provoqué un abaissement du niveau de performance communicationnelle attendu qui a progressivement disqualifié l’éducation publique et frayé la voie des formations privées, payantes et élitaires.

Nous adjurons les décideurs de la Francophonie internationale comme ceux des pays francophones de lutter contre cette dérive inégalitaire, et de faire du français une langue d’intégration et d’agir, dans ces pays et dans ceux où le français est enseigné, pour que le français contribue avec les autres langues en usage à l’atteinte de ces objectifs de cohésion et de solidarité.

En particulier, nous demandons aux autorités des pays de français langue maternelle de développer une approche solidaire susceptible de servir les publics les plus défavorisés, comme il a été dit au titre 1.3. : alphabétisation, classes d’accueil, lutte contre l’illettrisme sont des urgences, dans lesquelles les pouvoirs publics doivent s’investir avec le tissu associatif.

Nous demandons également à ces mêmes autorités de développer des programmes visant à l’accessibilité des textes administratifs, juridiques et commerciaux, aujourd’hui puissants facteurs d’exclusion et de discrimination. Ceci suppose non seulement une conscientisation des différents secteurs impliqués, mais aussi la mise sur pied de formations (hors du cadre scolaire, mais aussi au sein de celui-ci, comme expliqué au titre 4) et la mise au point d’instruments de mesure et d’évaluation.

Plus généralement, nous invitons les décideurs de la Francophonie internationale comme ceux des pays francophones à poursuivre la politique de coopération au développement qui est celle de la Francophonie.

Toutes les demandes formulées dans les présentes résolutions s’adressent aux autorités compétentes en matière d’éducation et de politique linguistique. Mais, au moment de terminer, nous nous tournons vers tous nos collègues enseignants de français — du primaire au supérieur, en passant par le collège, le lycée et le secteur associatif — pour leur demander de se mobiliser en faveur des valeurs universelles et de la culture humaniste, de la liberté, de la tolérance, de la fraternité, de l’intercompréhension et de la solidarité, et d'agir concrètement pour coconstruire, conforter et diffuser ces valeurs dans le cadre de leur enseignement et de leur engagement citoyen.

 

 

Pour toute information : secretariat@fipf-liege-2016.be ;